"Faisons-nous bien la mauvaise chose ?" C'est une question qui nous taraude depuis quelque temps. En tant qu'acteurs de la transition écologique, nous nous mobilisons tous pour transformer notre monde, le rendre plus durable, plus respectueux de l'environnement, des humains, de générations futures et de la biosphère.
Pourtant, parfois, je ne peux pas m'empêcher de me demander si nos efforts, aussi bien intentionnés soient-ils, ne font que prolonger un système défaillant.
Pour illustrer notre réflexion, imaginez notre situation actuelle comme celle du Titanic après avoir heurté l'iceberg (histoire inspirée d’un.e auteur.e qu’on ne retrouve pas). L'eau s'infiltre, remplit les cales, et nous nous dirigeons inévitablement vers le naufrage… Dans cette analogie, nos actions actuelles de durabilité ressemblent à des tentatives de sortir l'eau du bateau avec des petits seaux.
Mais est-ce la bonne chose à faire d’un point de vue systémique ? Notre système économique global fonctionne de la même manière depuis des décennies, nous extrayons des matières premières, souvent sans tenir compte des impacts écologiques, pour les transformer en biens de consommation via des processus intensifs en énergie. Ce modèle linéaire, malgré les efforts pour le rendre plus "durable", demeure fondamentalement basé sur une croissance perpétuelle et une production de déchets.
Récemment, de nombreuses organisations ont entrepris de devenir plus durables. Elles réduisent leurs émissions de CO2, adoptent des pratiques de recyclage et utilisent des matériaux plus écologiques. À première vue, cela semble être un progrès significatif.
Mais la question demeure : ces actions sont-elles véritablement utiles ? Sommes-nous en train de traiter les symptômes sans nous attaquer aux causes profondes ? Si une entreprise textile, par exemple, réduit ses émissions de CO2 et utilise des matériaux plus écologiques mais continue de promouvoir la fast fashion, la consommation excessive et rapide des vêtements reste inchangée. La croissance économique demeure l'objectif principal, et la production en masse se poursuit. Cette contradiction est au cœur de la réflexion sur l'efficacité de nos actions environnementales et sociales. Parfois, j'ai l'impression que de travailler dur pour très peu de résultats, cherchant, en plus, à colmater les brèches d'un navire qui prend l'eau de toutes parts, sans jamais vraiment envisager de changer de cap.
Pour aller plus loin, nous devrions adopter un modèle économique régénératif. Cela signifierait transformer complètement notre approche de la production et de la consommation. Par exemple, nous pourrions passer à une économie 100% circulaire, où les biens sont conçus pour être recyclés en fin de vie, minimisant ainsi les déchets. Nous pourrions aussi encourager la réparation et le réemploi, prolongeant la durée de vie des produits. Cette vision circulaire est prometteuse et montre qu'il est possible de faire bien ,potentiellement, la bonne chose? En adoptant des cycles fermés de production et en intégrant des pratiques durables, nous pouvons créer des économies où rien ne se perd et tout se transforme. Les modèles régénératifs vont plus loin que la circularité, ils régénèrent l’environnement, créant plus de richesse vivante et de liens par leur simple existence. Ces exemples montrent que le changement est possible, mais il reste encore énormément à faire pour que ces modèles deviennent accessibles et peut-être un jour la norme.
Mais, donc, à force d’optimiser nos systèmes actuels, sommes-nous toutes et tous en train de faire bien la mauvaise chose.
Si nous continuons à créer toujours plus de produits, même s'ils sont plus durables, nous continuons à alimenter cette machine insoutenable. Notre système économique est basé sur l'extraction de matières premières, leur transformation et la création de déchets. Et ce système repose sur la croissance continue de ce mécanisme de production. Le changement donc doit être systémique. Il ne suffit pas de verdir nos pratiques actuelles ; nous devons repenser fondamentalement notre rapport à la production et à la consommation. Comme l'a dit Einstein, "On ne peut pas résoudre un problème avec le même niveau de conscience qui l'a créé." Nous devons élever notre niveau de conscience et de responsabilité pour véritablement transformer notre système économique.
Timothée Parrique et les défenseurs de la décroissance soulèvent une question fondamentale : peut-on continuer à poursuivre la croissance économique tout en respectant les limites planétaires ? La décroissance ne signifie pas une récession, mais un choix conscient de réduire notre empreinte écologique et de repenser notre modèle économique pour le rendre plus soutenable. Cela pourrait signifier produire moins mais mieux, se concentrer sur la qualité plutôt que sur la quantité, et adopter des pratiques plus frugales et locales. Moins produire et consommer, adopter un mode de vie plus frugal, et favoriser les économies locales sont des pistes pour sortir de ce paradoxe. C'est une vision radicale, mais nécessaire. Il ne s'agit pas seulement de consommer moins, mais de vivre mieux, de redécouvrir la valeur des choses simples et essentielles. En ralentissant le rythme effréné de notre consommation, nous pouvons trouver un nouvel équilibre, plus harmonieux avec notre environnement.
Une autre piste se trouve peut-être dans le concept de robustesse et de se demander simplement si les entreprises actuelles peuvent vraiment changer de manière suffisamment ambitieuse pour respecter les limites planétaires et le plancher social. La robustesse, telle que développée par Olivier Hamant, nous enseigne l'importance de la diversité fonctionnelle, de la redondance, de la flexibilité et de la complexité constructive. Cela pourrait signifier diversifier nos sources de matières premières, intégrer des pratiques de production flexibles capables de s'adapter aux fluctuations du marché et des ressources, et collaborer avec d'autres entreprises pour mutualiser les efforts et les ressources. Ces principes pourraient guider la création de systèmes locaux résilients capables de s'adapter aux fluctuations environnementales et économiques. Nous devons envisager des communautés qui fonctionnent comme des écosystèmes naturels, où chaque élément joue un rôle dans la stabilité et la santé globale du système. Ça donne envie, c’est ambitieux, ça donne un peu le tournis… La robustesse nous apprend aussi à créer des liens avec les communautés locales, les entreprises, les compétiteurs, les clients, les partenaires, et les fournisseurs. Le monde est en perpétuelle mutation, et plus nous nous inspirerons du vivant et de la permaculture, mieux nous pourrons créer des systèmes locaux capables de s'adapter facilement à ces fluctuations.
Ces deux pistes ne peuvent probablement pas jouer le jeu de l’économie actuelle, elles sont trop disruptive… Néanmoins, il devrait être possible de créer des expérimentations hors du système économique actuel et proposer des mécanismes nouveaux, différents, ambitieux qui montre l’exemple. Ce seraient des bateaux de sauvetage de toutes formes engageant, ambitieux, communautaires, sobres, régénératifs, robustes, et adaptés à leurs environnements fluctuant pour accueillir d’abord les rêveurs, puis la masse des voyageurs du Titanic
La question de « Faisons-nous bien la mauvaise chose ? » reste une question ouverte. D'un côté, il est essentiel que nous continuions à agir pour réduire les externalités négatives et à créer de nouveaux imaginaires, de nouvelles façons de vivre et de créer des entreprises robustes, résilientes et agiles, adaptées à leur environnement fluctuant. En même temps, il faut que nous travaillions sur les causes profondes de ce qui nous arrive. Il nous semble crucial de réfléchir à la manière dont nous pouvons créer de nouveaux modèles, favoriser la résilience locale et renforcer les liens au sein de nos écosystèmes humains et naturels.
Si on reprend l'analogie du Titanic qui a heuré iceberg, l'eau s'infiltre, et nous nous dirigeons vers le naufrage. Nous avons plusieurs options :
Certains continuent à faire la fête, ignorant le danger. D’autres, les activistes, essaient d’alerter le plus de fêtards possibles au trou dans la coque. D'autre encore, les “transitionneurs”, essaient de sortir l'eau du bateau, comme nous le faisons actuellement en séquestrant le carbone et en atténuant les dégâts. Cependant, ce n'est qu'un travail sur les symptômes, pas sur la cause. La meilleure option pourrait être de décomposer le navire pour créer des bateaux de sauvetage, des communautés locales et des nouveaux systèmes résilients, c’est ce que feraient les “bâtisseurs”.
Chez Pulsitive, on ressent le besoin de continuer à écoper et alerter pour maintenir le bateau à flot le plus longtemps possible, même si c'est peut-être la mauvaise chose à faire. En parallèle, on a envie de bâtir de bateaux de sauvetage ambitieux et positifs pour permettre aux gens de trouver des refuges éthiques et équitable, de donner du sens, de renforcer leurs communautés et de se préparer pour l'avenir une fois que le bateau aura coulé.
Alors faites-vous bien la bonne ou la mauvaise chose ? Quelle est votre place sur le Titanic ?
Nicolas Henry
Co-fondateur de Pulsitive.impact